
Cétait il y a longtemps, cétait au siècle
dernier.
Regardant ces magnifiques images, je me sentis tout en même
temps inquiet, irrité, touché et même quelque
peu perturbé. Avec lenvie irrépressible de glaner
quelques explications je regardais vainement aux alentours ; personne
pour me guider. Je me demandais si ces images ne provenaient pas
du siècle dernier (je veux parler du 19ième) ; impossible
de les cataloguer. Aussi les étudiais-je encore et encore
tentant dy trouver une explication. Les regards figés
se tournaient vers moi tout à la fois implorant et calme.
Ils échauffaient mon esprit par les innombrables questions
quils suscitaient. Troublé je détournais les
yeux sans pourtant pouvoir mempêcher dy revenir.
Ces êtres mobservaient sans répit à travers
leurs yeux clairs et brillants. Toutes ces questions restaient suspendues,
immobiles dans une ambiance pesante. Je me sentais pris par surprise,
mis à nu. Mon approche habituellement si directe en prenait
un coup ; à nouveau je minterrogeais : ces images provenaient-elles
réellement dun siècle révolu ? Ces gens
avaient-ils jamais existé ? Etaient-elles chargées
dun message, dune mission pour notre monde ?
Ces yeux ! Surtout les yeux des enfants, limpides, froids, omniscients.
Les interrogations se succédaient sans réponse. Etait-ce
de lart ou ma raison avait-elle été abusée
? Une chose dont jétais certain si ce nétait
pas de lart, je ny aurais pas trouvé tant de
profondeur.
Une telle multitude de questions !

Et soudain tout devint clair : lart nest pas là
pour répondre à des interrogations mais bien pour
en susciter. Demblée me vint à lesprit
une comparaison avec le grand Balthus. Voyons, ces enfants sont
apparemment adultes, vieux comme le monde et de plus ces images
ne sont pas que des illusions, des chimères ou des fantômes
; cest nous, notre enfance saisie dans chacune de ses photographies,
tel larbre dans sa totalité contenue dans une simple
graine. Tout sy retrouve : passé et futur, mais par-dessus
tout, notre présence, une présence emplie de doute
et de foi disparue. Mais il y a aussi une croyance profonde en la
bonté de lhomme, sa constance et en son incorruptibilité
face à la fuite du temps.
Il y a surtout un message proclamant que nous, humains, sommes beaux
et que la vie mérite dêtre vécue.
Voilà ce dont je me souvenais.
Bien des années plus tard je rencontrais William.
En un clin dil je réalisais que lartiste
nest pas toujours identifiable à son travail ; je me
trouvais en face dun homme normal heureux et bienveillant.
Et pourtant cette même personne a le don de montrer et dexprimer
des pensées cachées jusquau tréfonds
de nos âmes.
Ô mystérieux courant du subconscient. Ô France,
magnifique pays qui a su donner tant de bonnes choses à ce
monde. Et sans aucun doute, Monsieur William Ropp et son travail
en font partie.
Jan Saudek